08/10/2025
Prix Nobel de Physique 2025
Le prix Nobel de physique récompense trois pionniers de l’ordinateur quantique, dont le Français Michel Devoret
Le Britannique John Clarke, le Français Michel Devoret et l’Américain John Martinis ont été primés pour avoir, au milieu des années 1980, ouvert la voie à de vastes champs d’application de la mécanique quantique.
L’Académie royale des sciences de Suède ne pouvait pas rater une telle occasion. Cent ans après la formulation de la mécanique quantique, elle a récompensé trois lauréats qui ont poussé très loin les limites de cette théorie, qui décrit les propriétés microscopiques de la matière. Le Britannique John Clarke (université Berkeley), 83 ans, le Français Michel Devoret (universités Yale et de Californie à Santa Barbara), 72 ans, et l’Américain John Martinis (université de Californie à Santa Barbara), 67 ans, ont, au milieu des années 1980, révélé des aspects étonnants de la mécanique quantique. Ils ont ainsi ouvert la voie à de vastes champs d’application, comme l’hypothétique ordinateur quantique, dont les modes de fonctionnement originaux promettent de résoudre des calculs complexes plus efficacement.
Michel Devoret, tout en gardant une casquette académique, aide d’ailleurs Google dans ce but en tant que « scientifique en chef sur le hardware quantique » depuis quatre ans, tout comme l’avait fait avant lui John Martinis, entre 2014 et 2020, avant de fonder sa start-up, Qolab, en 2022. Il avait été aussi cosignataire d’un article majeur, fin 2019, publié dans la revue Nature avec l’équipe de Google, qui présentait une première puce quantique performante.
Mais c’est ensemble, à Berkeley, que le trio a réalisé les expériences qui leur valent le Nobel. John Clarke dirigeait la thèse de John Martinis et accueillait en « postdoc » Michel Devoret, alors au Commissariat à l’énergie atomique (CEA). « C’est la surprise de ma vie que de voir ces travaux récompensés d’un Nobel », a indiqué John Clarke à l’annonce du prix. Leurs études étaient en effet très fondamentales, motivées par l’exploration de la frontière entre les mondes classiques et quantiques. Aucun ne songeait à l’informatique quantique et l’effervescence qu’elle génère aujourd’hui.
« Effet tunnel »
Dans plusieurs expériences publiées en 1984 et 1985, ils démontrent qu’un gros paquet de milliards d’électrons peut passer une barrière réputée infranchissable, et qu’il est possible de contrôler ce passage d’un côté à l’autre du « mur » à l’aide de micro-ondes. Plus précisément, cet obstacle est un isolant disposé entre deux îlots d’électrons circulant dans des matériaux qui, à très basse température, n’offrent aucune résistance au courant.
En 1980, le théoricien Anthony Leggett – nobélisé en 2003 – avait proposé qu’un tel circuit électrique, baptisé « jonction Josephson », puisse servir à tester la mécanique quantique à grande échelle, alors que jusqu’à présent ses effets n’étaient mesurés que pour des particules uniques. John Clarke est spécialiste de ces composants, dont il a démontré l’utilité pour fabriquer des capteurs de haute précision de champs magnétiques.
Avec ses jeunes collègues, ils montrent que Leggett avait raison en observant que les électrons peuvent osciller d’un côté ou de l’autre de l’isolant, le franchissant par « effet tunnel », une propriété quantique. Mieux, ils contrôlent ce passage grâce à des micro-ondes qui excitent plus ou moins les électrons. Tout se passe comme si ce circuit électrique fait de milliards de particules se comportait comme un unique atome artificiel capable de changer de niveaux d’énergie.
Pour la première fois, un effet quantique macroscopique, impliquant plusieurs objets, était donc mis en évidence. « On accède à un phénomène quantique avec un simple voltmètre », indiquait Michel Devoret dans sa leçon inaugurale au Collège de France, le 31 mai 2007, pour saluer l’une des beautés de ce résultat.
Atome artificiel
« Démontrer le caractère quantique d’un gros objet justifie pleinement ce Nobel », apprécie Alain Aspect, Prix Nobel de physique en 2022 à propos d’autres effets quantiques étonnants. « C’est le travail fondateur qui a initié ensuite toute la thématique des circuits à base de supraconducteurs », insiste Daniel Estève, chercheur au CEA, qui a travaillé avec les trois lauréats.
Assez vite, les chercheurs et d’autres groupes réalisent que cet atome artificiel pourrait servir à réaliser un autre objet, un bit quantique ou qubit, c’est-à-dire un système à deux états, comme un bit informatique fait de 0 et de 1, mais capable d’être dans deux états à la fois, comme la mécanique quantique l’autorise. Ce qubit est à la base des ordinateurs quantiques.
Michel Devoret, à son retour des Etats-Unis, en 1985, crée au CEA, avec Cristian Urbina et Daniel Estève, qui avait aussi passé quelques mois à Berkeley, une équipe dévolue à ce nouveau composant prometteur, où viendra les rejoindre John Martinis. Les succès s’enchaînent, avec très vite un circuit quantique amélioré par rapport à son ancêtre américain. Puis au Japon, au sein de l’entreprise NEC, une équipe publie en 2000 la première démonstration d’un qubit réalisé avec ce genre de circuits.
Puis, deux ans plus tard, le CEA réplique avec le quantronium, ce qubit durant plus longtemps que celui de la démonstration japonaise. Michel Devoret quitte alors la France pour rejoindre l’université de Yale, où il participe au développement d’un autre circuit, le transmon, encore plus efficace. Et dix ans plus tard, le CEA produit un premier processeur quantique, avec deux qubits, à base de transmons. De là sortiront des puces plus complexes des géants de l’informatique comme Google ou IBM, qui désormais font la course, avec d’autres, pour être les premiers à faire une machine capable de réaliser des calculs infaisables par un ordinateur classique.
« Qubits de chat »
Michel Devoret a à son actif bien d’autres réussites. Il invente notamment une façon de protéger encore mieux les précieux qubits, surnommés « qubits de chat ». Cette idée sera au cœur de la naissance de la start-up française Alice & Bob, née en 2020 et dont Michel Devoret sera conseiller scientifique, avant de céder son siège à… John Martinis lorsqu’il rejoint Google. Michel Devoret est aussi passé maître dans l’art de mesurer les états de systèmes quantiques sans quasiment les déranger, alors même qu’ils sont fragiles. « On peut dire que Michel Devoret a co-inventé la plupart des qubits supraconducteurs ! », estime Théau Peronnin, président et cofondateur d’Alice & Bob. « C’est aussi un pédagogue merveilleux, toujours positif et optimiste », apprécie Benjamin Huard, chercheur à l’ENS de Lyon et qui a travaillé avec le lauréat lorsqu’il était au Collège de France entre 2007 et 2013.
Dans la course à l’ordinateur quantique, il n’est cependant pas certain que les descendants des « jonctions Josephson » du trio triomphent. D’autres qubits ont émergé à base de vrais atomes piégés par la lumière, ou à base de photons, ou encore d’électrons piégés dans des boîtes… Pour Alain Aspect, « personne ne sait qui va gagner, mais cela fera sans doute un autre Nobel un jour ».
15:02 Publié dans Science | Lien permanent | Commentaires (0)
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